Didier Falise à Vinalmont avec le spike d'or reçu en 1987
Didier Falise, le triple sauteur, défile derrière le drapeau belge lors de la séance d'ouverture des Jeux Olympiques de 1988. Il a 27 ans, déjà. Lui, d'habitude le fanfaron, le boute-en-train, est plus qu'ému. Il y est enfin aux JO. Après avoir manqué d'un fifrelin les JO de Los Angeles 4 ans plutôt, il est bien là avec son copain liégeois Jean-Michel Saive pour qui ce sont aussi les premiers jeux ; ils sont arrivés en Corée du Sud après un voyage de près de 24 heures mais n'auraient pas voulu rater les journées d'inauguration des JO pour tout l’or du monde (sauf si c'était une médaille ). Didier est aux JO avec des poids lourds du sport belge : les judokas Robert van de Walle et Ingrid Berghmans qui obtiendront tous les deux une médaille : de bronze pour le premier, d'or pour Ingrid (le judo était en démonstration à Séoul) ; Frans Peeters est là aussi, lui qui sera médaillé de bronze au tir aux clays (tir au pigeon d'argile comme disent les français). Et bien sûr, il y a la nageuse Ingrid Lempereur et les fameux athlètes Vincent Rousseau et Léon Schoot.
Oreye, là où tout a commencé
Le triple saut demande à la fois vitesse, technique et puissance
Le défilé continue ; Didier salue les supporters belges mais il fait de grands signe aussi à l'intention des téléspectateurs, à tous ses parents-sa maman et sa bobonne qui regardent la petite lucarne jour et nuit -, à sa copine qui fait exploser les communications téléphoniques Corée-Belgique, à ses amis d'Oreye, car avant d'être Vinalmontois, Didier est Orétois; c'est là qu'il est né, au café emblématique de Hesbaye, l'Escale ; il se souvient des premières olympiades Inter-Patros en 1969 à 8 ans. Il se remémore son parcours en scolaire avec Emile Latour qui lui aussi, il en est sûr, est derrière sa TV.
Emile, c'est son premier entraîneur au club d'athlétisme d'Oreye, sans qui rien ne serait arrivé ; Emile prenait en charge tous les jeunes de la région ( Emile Latour est encore aujourd'hui président plus qu'actif du WACO, le Waremme Athletic Club d'Oreye ) ; c'est grâce à Emile que Didier s'est imposé en triple saut, une discipline qu'il ne connaissait même pas quand Emile Latour a invité chacun aux « trials d'Oreye », une compétition interne où on gagnait une médaille quand on battait un record du club dans sa discipline de prédilection sur la petite piste en cendrée de Crisnée. Didier en voulait absolument une, de médaille : il n'était le meilleur ni en hauteur ni en 200m mais en triple saut, il l'avait gagnée. Il avait atteint plus de 11 mètres, à son premier essai. Vous sauriez, vous le faire, parcourir 11 mètres en 3 pas...
Roger Lespagnard, l’entraîneur fétiche
Didier Falise avec son copain Jean -Michel Saive : Séoul, c'étaient leur premiers jeux olympiques
Mais le défilé continue aux JO et les souvenirs aussi défilent. Didier se souvient que pour se consacrer pleinement au triple saut, il a du abandonner le foot, lâcher ses camarades footballeurs du RFC Liégeois Jean-François De Sart, un hesbignon comme lui, Moreno Guisto et Bernard Wégria, ses potes qui deviendront des valeurs sûres du football belge.
Être là sur la piste à Séoul, c'était son rêve : il y est. Il avait pourtant manqué devoir abandonner le triple saut cinq ans avant, en 1983, alors qu'il s’entraînait avec Roger Lespagnard (qui est aujourd'hui lentraîneur de Nafissatou Thiam). ). Roger Lespagnard qui l'avait conseillé depuis ses premiers vrais succès en 1980 alors qu'il n'était que junior.
L'ange blond prend son envol
Sur la piste piste de Séoul, Didier rit donc sous cape, se rappelle de cette terrible alerte. Il les a bien étonnés tous, après son fameux saut raté de mars 1983. Ce saut, c'était le jour suivant l'anniversaire de ses 22 ans. Il avait peut être trop bien fêté cela. Lors de cet essai, il ne voit pas le trou béant dans le bac de réception et il retombe, hélas, dedans. Un terrible craquement est entendu jusqu'au bout du stade. Catastrophe : déchirure des ligaments croisés antérieurs et de ligaments externes. Le docteur annonce à sa maman qu'il espère que Didier remarchera un jour normalement. Les journaux titrent : « Fin de carrière pour le jeune et prometteur triple sauteur Didier Falise ». Toujours positif, déjà à la clinique, en attendant le résultat des radios, Didier s'amuse à faire des courses... en chaise roulante. Et si c'est un joyeux luron prêt à aller danser tous les jours comme disait son amoureuse, Didier, c'est avant tout un caractère fort, courageux, têtu.
Il travaille tous les jours avec son kiné, demande qu'on ouvre spécialement la salle omnisports d'Oreye pendant les vacances pour pouvoir s’entraîner et bientôt il revient à la compétition encore plus fort, très tôt, mettant à mal tous les pronostics négatifs, étonnant médecins et entraîneurs. En 1986, il bat le record de Belgique pour le porter à 16m 86 (un record qui tiendra 16 ans, égalé seulement alors par Velter ). Cette même année, il est le premier européen de l'ouest aux championnats d'Europe à Stuttgart.Il engrange une 8ième place aux championnats du monde à Indianapolis en 1987 et parvient donc à se retrouver en Corée, à Séoul en 1988...La cérémonie d'ouverture touche à sa fin...
Il ne court pas, il vole
Fini de rire, de gamberger : dans quelques jours, ce sera le saut le plus important de sa vie...Le triple saut est une discipline exigeante qui demande une grande vitesse de base, de la détente et une force peu commune dans les jambes : c'est du grand art que de transformer toute cette énergie en trois impulsions. La compétition, les JO, commencent et Didier fait mieux que se défendre : c'est une véritable pile électrique, aux cheveux bonds bouclés, qui veut casser la baraque : fini les allures de dandy décontracté. Il passe les qualifications et participe de manière inattendue au tour final avec une magnifique 11 ième place (16m17).
Didier avec Gabriela Sabatini, la tenniswoman vedette de la délégation argentine
La fête pouvait commencer. Au village olympique de Séoul, il côtoie ceux et celles qui sont ses idoles : Gabriela Sabatini et Steffi Graf, les belles et géniales tenniswomen mais surtout l'américain Willie Banks, le triple sauteur fou, nonchalant, toujours prêt à amuser la galerie et à enflammer les foules par ses pitreries mais aussi par ses performances exceptionnelles ; et bien sûr le russe Bubka, un des plus grands de par sa classe naturelle, de par ses exploits répétés au saut à la perche : des phénomènes.
L'épisode Ben Johnson aux JO de Séoul
Le doping, on n'en parlait peu avant 2008, mais aux jeux de Séoul, la première grosse bombe liée au doping éclate : Ben Johnson, l’icône des courses rapides, doit partir comme un voleur le surlendemain de la remise des médailles du 100 m, convaincu de dopage. Les médecins s'étaient...trompés dans le cycle d'effets de son produit dopant. A un jour près, il n'était pas pris. C'est Carl Lewis qui empochera la médaille.
Il y avait du dopage sans aucun doute: Didier a d'ailleurs vu un curieux manège : pour rendre la pareille à un athlète belge dont il souhaitait absolument obtenir le beau maillot, un athlète d'Allemagne de l'Est n'a d'autre choix que de lui donner en retour que ce qu'il a : un boite de « chiques », qui allait s'avérer être une boite de produits dopants en fait. « Mais à notre niveau, nous dit Didier, le dopage n'existait pas: je m'autorisais juste une tarte aux abricots tous les samedis, rigole-t-il. Et j'ai toujours avec moi de l'eau de Catherine Seret ». L'eau de Catherine Seret, c'est le remède miracle connu depuis bien longtemps à Vinalmont et en Hesbaye et qui a maintenant son succès à l'étranger, grâce à Didier. Didier a déjà guéri plus d'un de ses adversaires avec cette potion magique, adversaires qui le surnomment Didierfalix.
« Le triple saut n'était pas une discipline médiatique ; elle ne rapportait rien ou pas grand chose. Les déplacements à l'étranger ou les chaussures étaient sponsorisés « les bonnes années ». Je travaillais à l'école Saint Laurent à Liège et pendant ma préparation pour les jeux, j'ai pris un congé sans solde compensé en partie par une bourse du Comité Olympique et de l'Adeps, ce qui m'a permis de m’entraîner deux fois par jour avec Roger Lespagnard ( 12 à 14 séances par semaine de 90 à 120 minutes ) ».
Lespagnard, philosophe à ses heures, toujours lucide, parle de son protégé : « Comme tous les athlètes de haut niveau, Didier a dû faire beaucoup de sacrifices. Le sport est toute sa vie, même si l'athlétisme ne peut être une profession en triple saut. »
Un fameux palmares
Didier mis à l'honneur lors du Mémorial Van Damme au Heysel
Tout rêve,même s'il s'est réalisé, a une fin. Après les jeux, c'est la décompression. Didier sera cependant encore champion de Belgique en 1989 et 1990. Mais bientôt, la mort dans l'âme, il quitte le sport de haut niveau en 1990 aux championnat d'Europe de Split. Sa carrière a été bien remplie : participation aux JO, 10 championnats de Belgique en triple saut mais aussi le spike d'or en 1987, le prix du fair play Pierre de Coubertin de l'Unesco 87, le prix de l'élégance si les dames avaient pu en accorder un, le prix de la sympathie pour les journalistes qui trouvent toujours en Didier un homme sympa, disponible, convivial, mais au franc parler peu commun dans le milieu, un athlète jamais avare d'une confidence ou d'un bon mot.
En fait, devenir professionnel à part entière n'a jamais été la tasse de thé de Didier. Pour lui, les contraintes du professionnalisme sont telles que cela ne rejoint pas son souhait : faire du sport tout en y prenant du plaisir, faire du sport tout en gardant des contacts sociaux : pouvoir parler de tout et de rien avec son copain d'entrainement le sprinter Ronald Desruelles, aller boire un verre avec ses potes au "Bleu Marine", ou simplement aller manger un steak et une pâtisserie faite maison chez sa maman.
Le discret kangourou de Vinalmont
La vie continue. Didier qui a été plongeur au Sarma dans sa jeunesse, qui a tenu un magasin de sports pendant sa période sportive, travaille alors chez AG assurances, chez Amix aussi puis, à partir de 2007, comme agent pénitentiaire ; il est maintenant chef d'équipe à la prison de Forest. Il a 4 enfants : Robin, 20 ans, qui a été champion de Belgique cadet en... triple saut, Lucas, 19 ans, Louis, 10 ans et Marie, 7 ans. Et finalement, en 2011, il vient habiter à Vinalmont, aux Vallées, dans un coin dont il s'émerveille chaque jour du calme, près de chez Léon Kockelmans. Ses voisins, me dit-il, il va les rencontrer tous dans quelques jours à la fête du quartier des Vallées et des Doyards, un événement qu'il ne manquerait pas pour tout l'or du monde.Comme chaque année, Didier et Véronique, sa compagne, tiendront à coeur de préparer les tentes, les tables pour la rencontre entre voisins. Peut-être participera-il, pendant la fête, au tournoi de tennis chez Paulette aux Vallées, discrètement, sur la pointe des spikes car Didier est un homme plus que discret. Qui savait, en effet, que nous avions, chez nous, à Vinalmont, un athlète ayant participé aux JO, qui a gagné 10 championnats de Belgique de triple saut de 1980 à 1990, un phénomène qui, en 3 pas, à « cloche pied », peut parcourir le quart de la longueur d'un terrain de football ? Chapeau l'artiste.