"Carte postale " envoyée par Paul Delvaux à M. et Mme Jamaigne pour les remercier de leur accueil à la galerie Carpe Diem à Wanzoul
La galerie "Carpe Diem" à Wanzoul en 1982 : revenons sur cette initiative exceptionnelle datant de 35 ans à l'occasion de l'anniversaire des 120 ans de la naissance de Paul Delvaux : Paul Delvaux, le voisin d'Antheit, qui a tenu à exposer à Wanzoul à l'âge de 85 ans.
Le rêve de Bartho
La galerie Carpe Diem en 1982, rue Tapennes (photos albums famille Jamaigne )
Le no 4 de la rue Tapennes à Wanzoul a été longtemps habité par Germain Gérard et sa femme Adolphine, des Wanzoulois pur jus. Germain et son fils Jean ont vendu, en 1978, leur petite maison, à leur voisin de la "ruelle du dessus" Albert Bartholomeus (voisin de M. et Mme Lenaerts).
Albert Bartholomeus, Bartho, voulait récupérer son panorama, barré par un bois de sapins hauts de vingt mètres. Mais le Bruxellois Albert Bartholomeus avait aussi une autre idée au moment de son achat : il voulait concrétiser un rêve.
Lui, le juriste, était en effet passionné de peinture d'art et créer une galerie d'art était devenu un objectif au moment de sa pension. Pour Albert, le bricoleur d'exception, l'ancienne demeure de Germain et Jean était donc idéale pour aménager spécialement un espace pour ses amis artistes dans un endroit idyllique..
La galerie d'art Carpe Diem s'est donc ouverte, à son initiative, le 7 août 1982 à Wanzoul dans ce coin champêtre qu'est la rue Tapennes, dans les ruelles.
Sa vocation essentielle est double : en premier lieu, aider des artistes - peintres, graveurs et sculpteurs - à se faire connaître et, en second lieu, permettre au public - averti ou non - d 'apprécier leurs oeuvres dans un cadre enchanteur qui leur serait dédicacé.
Albert Bartholomeus est un mécène : il va mettre sa nouvelle maison à la disposition d'artistes gratuitement.
La maison servira de salle d'exposition mais aussi de logis pour les exposants durant la durée de leur exposition : les artistes pourront ainsi accueillir le public touts les après-midis. De plus, un atelier a été aménagé afin de permettre aux exposants de peindre ; les visiteurs auront ainsi la possibilité de voir une oeuvre se créer « en direct ». La « maison de campagne », l'artiste qui l'occupe doit s'y sentir comme chez lui : le mois que durera son exposition, il doit le considérer comme un mois de vacances.
"Jeune fille à la fenêtre" : Géraldine Jamaigne a vécu intensément la période "galerie " avec ses parents
Jouis du jour présent
Les artistes ne paient rien; aucun pourcentage n'est déduit de leurs ventes d'oeuvres d'art. C'est pourquoi Mme Bartholomeus, Jeannot Demeulemeester, a baptisé la galerie « Carpe diem » : « Jouis du jour présent ».
C'est cette même Jeannot Demeulemeester qui sera la secrétaire-trésorière de l'asbl, « Carpe Diem » tandis que son époux en sera le président. La voisine de la rue Tapennes, l'amie, Mme Marylène Jamaigne, sera chargée des relations publiques, un rôle qu'elle assumera elle aussi avec enthousiasme.
Une équipe de passionnés donc est au service de l'art et des artistes.
Les premiers artistes qui vont exposer à la galerie rencontreront un succès inattendu. Et pour les citadins visiteurs, arriver « chez » Carpe Diem, c'était toute une expédition, une expédition « à la campagne » : comment trouver la rue Tapennes, comment circuler et ne pas s'embourber dans les « roualettes » de Wanzoul. Le lieu, s'il ne se prêtait guère au transport automobile était, par contre, magique pour y organiser des expositions.
Les premiers exposants, ce furent Jean-Pierre Gilmart (du 7 au 31 août 1982) et bien sûr Raymond Art (du 4 au 30 septembre 1982). Raymond Art est en effet le conseiller artistique au niveau de la galerie Carpe Diem. Né à Ostende, Raymond Art est un peintre abstrait, autodidacte et ami de Paul Delvaux.
Paul Delvaux en visite presque chez lui
Avant son départ de Wanzoul, Paul Delvaux a reçu des gaufres faites maison de Mme Jamaigne
Paul Delvaux viendra donc à Wanzoul une première fois le 11 septembre 1982 pour admirer l'exposition de son élève Raymond Art et pour rencontrer les promoteurs de la galerie. Paul Delvaux enverra à M et Mme Jamaigne, pour les remercier de leur accueil et leur dire tout le bien qu'il pensait de...leurs gaufres, une carte postale reproduisant une de ses oeuvres illustrant le vicinal qui passait par Vinalmont et bien sûr par Antheit, son lieu de naissance.
Tout comme Paul Delvaux, les visiteurs sont sous le charme : dans ce nid d'artistes, le visiteur devient l'invité, l'oeuvre devient le décor naturel et l'artiste devient l'hôte.
Se succéderont ensuite à la galerie le groupe des professeurs de Saint-Luc à Liège, les peintres graveurs Jean Dechene, Pierre Deuse, Guy Horenbach et Jean Rocour (octobre 1982), puis le dessinateur Christian Otte (novembre 1982), puis encore un autre groupe de graveurs en avril 1983 avec Brigitte Closset, Dominique Fléron, Jean-Louis Herten, Josée Strée et Willy Welter.
L'expo du grand maître à Wanzoul
Deuxième visite de Delvaux à Wanzoul : cette fois, en 1983, il expose. Ici avec Jeannot Demeulemeester, la secrétaire de la galerie "Carpe Diem " et avec le voisin photographe, le glacier réputé, Fernand Jamaigne
Mais bien sûr, la grande expo, ce sera celle de Paul Delvaux du 8 au 31 mai 1983. Paul Delvaux revient à la galerie pour la seconde fois, cette fois avec sa propre production toute récente, essentiellement des gravures, des eaux fortes, des lithos, des dessins.
Paul Delvaux expose en fait, pour la première fois, dans son pays natal, près d'Antheit et de Huy. La galerie Carpe Diem est en effet à un kilomètre environ de la maison natale de Paul Delvaux à Antheit. Paul Delvaux est donc né à Antheit, on le sait.
Il est le fils d'un avocat établi à Bruxelles. Pourtant, sa mère Laure Jamotte se rend à Antheit le 23 septembre 1897 pour la naissance du petit Paul: conformément à la tradition, elle tenait à accoucher dans la maison familiale; c'est là qu'elle rejoint sa propre mère Agnès Boxus et son père François Jamotte.
Pour Paul, ce pays-ci est celui de sa naissance mais surtout de ses vacances scolaires passées, jusqu'à l'âge de 18 ans, chez son grand père paternel meunier à Wanze, et chez les parents de sa mère, native d'Antheit, nous l'avons dit. Ce pays-ci est le pays de la liberté après les classes sévères de gréco-latines à Bruxelles, le pays de la joie et qui lui est chaleureux. Antheit et sa région, pour lui, étaient synonymes de bonheur, de douceur.
Il y est donc revenu portant ses 85 ans avec cette jeunesse qui lui gardait la passion de peindre. L'ample veste de tricot sur la chemise large ouverte - tout était ample en lui, la stature, le visage, le front, l'immensité de son univers et de son angle de vision – le velours du pantalon tombant sur la chaussure robuste. Paul Delvaux gardait le teint fleuri et l'oeil couleur de Mer du Nord en ses jours de soleil.
Embouteillage dans les ruelles
Les oeuvres de Paul Delvaux dans les années 80: "Les figurines féminines y étaient comme une rémission de tendresse et de douceur"
A Wanzoul, Paul est donc de retour dans « son coin », bien droit,le regard rêveur, la voix empreinte de douceur, Delvaux tel que lui même.
L'oeuvre de Delvaux sera donc pleine de souvenirs, de réminiscences intimes : souvenirs de lampes et de quinquets, de trains de banlieue et de tramway vicinaux, les uns et le autres proches des maisons, des gens, des souvenirs de robes, de chapeaux, de carrelages, de meubles.
« Je ne reconnais plus rien de Huy » dit Paul Delvaux l'air navré lors de sa visite à Wanzoul. L'artiste ne s'insurge pas. Lui, l'artiste crée un monde, offre une vision. Il ne juge pas. Il y a des politiques qui ne laissent que des villes déchirées ou ne consacrent que de dérisoires efforts à les cicatriser. Les ruines sont leurs monuments. Tant pis. Le monde évolue.
Un grand moment vraiment pour les mécènes de la galerie Carpe Diem, cette expo « Delvaux ». Le plus grand peintre belge contemporain attirera chaque jour à Wanzoul plusieurs centaines de visiteurs. Ils admireront donc des gravures de Paul Delvaux : certaines étaient anciennes, mais beaucoup très récentes et peu connues, notamment celles produites de 1980 à 1983. Les figurines féminines y étaient comme une rémission de tendresse et de douceur. Elles exprimaient une fraîcheur et une ingénuité très étrangère à la froideur marmoréenne devenue légendaire.
Suite et fin d'une grande et belle aventure avec des artistes de talent
Une oeuvre d'André Goezu qui exposera à Wanzoul à la fois avec le collectif Graphica Belgica en 1983 et à titre personnel en 1985
Après Paul Delvaux, Carpe Diem accueillera, l'aquarelliste Daniel Roberti (en juin 1983), le peintre non figuratif Roger Potier en août 1983, Luc Peire, peintre et graveur abstrait (septembre 1983) et le peintre sculpteur Jean Lequeu.
En mars 1984, la galerie reçoit le groupe Graphica Belgica, groupe de graveurs belges établis à Paris avec notamment ANDAL, Jean BROISSON, André GOEZU, CHEMAY, Luce CLEEREN, Raoul UBAC, Pol BURY, FRANCK, HOENRAET, PEIRE, REINHOUD.
Puis, ce sera Joze CIUHA, peintre yougoslave de réputation mondiale( avril 1984), Jean-Marie WINANTS, peintre fantastique, Jacques DUBOIS (mai 84), sculpteur, Gaston BOGAERT, le peintre surréaliste (juin 84), Raymond ART et ses toutes dernières œuvres (septembre 84). En octobre 1984, c'est Guy HORENBACH qui expose de nouveau et en novembre 84, c'est le tour de Francis OLIN.
La saison 1985, la 4ième et dernière saison (dernière pour raisons de santé), sera celle des Néerlandais Jan VERSCHOOR, Sonja DWINGER et de Henk ERKELENS, de Roger DUDANT (en juin), André GOEZU de nouveau (en juillet), Jean DECHENE (en août), Yvon ADAM et Louise DENOËL–ADAM en septembre.
Marylène Jamaigne était chargée des relations publiques au niveau de la galerie Carpe Diem
Merci
Une bien belle initiative d'une équipe d'amis passionnés qui a mis les ruelles de Wanzoul sur la carte du monde des arts. Merci à eux.
Merci aussi à Géraldine Jamaigne, Géraldine la Wanzouloise qui, de 15 à 18 ans, a vécu intensément cette période de la galerie Carpe Diem, participant à toutes les expositions. Tous les artistes ne manquaient pas de lui dédicacer ainsi qu'à sa soeur Ines et à ses parents, un dessin, une oeuvre ou de lui écrire un petit mot.
Géraldine se souvient avec un peu de nostalgie des soirées souvent épiques avec les artistes qui, habitant un mois la petite maison transformée en atelier durant la durée de leur expo à Wanzoul, partageaient leur temps libre avec leurs amis voisins.
C'est Géraldine qui nous a gentiment ouvert les pages de ses albums de famille avec les photos et documents artistement assemblés par sa maman Marylène, chargée, comme nous l'avons dit, des "relations publiques" de la galerie Carpe Diem.
Jean Dechene, un artiste habitué de la galerie, ici avec Ines Jamaigne
La galerie photos
Les photos sont dues - pour la plupart - à Fernand Jamaigne, le papa de Géraldine et Ines, photographe attitré de la galerie. Fernand, le glacier plus que réputé dans la toute la région, a été un monument du village, Fernand auquel on doit les gâteaux d'anniversaire de bon nombre d'enfants de Vinalmont pendant plusieurs dizaines d'années, Fernand dont l'humour dévastateur, parfois un rien caustique, faisait fondre, non sa glace, mais toute trace de tristesse chez ses clients et amis.
Les photos sont numérotées : le no est visible en cliquant sur une des photos de la galerie. NB : Pour agrandir une photo donnée au maximum: cliquez sur une photo de la galerie et cliquez sur la SECONDE icône de la petite bannière au dessus à droite.
La photo 1 montre la galerie Carpe Diem rue Tapennes en 1982. Sur les photos 2 et 3, on voit Raymond Art et une de ses oeuvres. La photo 4, "Jeune fille à la fenêtre ", c'est Géraldine Jamaigne, une prise de vue tout en douceur de son papa Fernand. Les photos 5 à 18 retracent la 1 ière visite de Paul Delvaux à la galerie wanzouloise : sur la photo 5, on reconnait le peintre d'Antheit avec son épouse sur le banc à droite ; et aussi, sur la même photo, tout à gauche Raymond Art et, devant la porte grande ouverte, Albert Bartholomeus.
Sur la photo 7, Jeanine Art converse avec le peintre, tandis que sur les clichés12 et 13, on voit Marylène Jamaigne offrir des gaufres maison à Paul Delvaux. Sur la photo 15, le peintre salue "Bartho" (Albert Bartholomeus) et son épouse Jeannot Demeulemeester avant son départ. Sur le cliché 16, c'est Fernand Jamaigne qui est en compagnie de P. Delvaux. Le tram local est le sujet de l'oeuvre de Delvaux présentée sur la photo 17 tandis que la photo 18 est celle de la maison familiale du peintre.
La galerie Carpe Diem : toute une ambiance...souvent festive, ici avec le dessinateur Christian Otte, debout
Les peintres graveurs Jean Dechene, Pierre Deuse, Guy Horenbach et Jean Rocour apparaissent sur les clichés 19 à 24 datant d'octobre 1982. Sur les photos 25, 26, 27 et 30 c'est le dessinateur Christian Otte qui est mis à l'honneur par le photographe maison. Marylène Jamaigne regarde par la fenêtre de la photo 29. Gros plans bien réussis de Fernand Jamaigne et de sa grande fille Géraldine : ce sont les photos 32 et 33. Nous sommes, avec la photo 35, en avril 1983, avec les graveurs Jean-Louis Herten et Willy Welter en compagnie de Raymond Art au centre.
En mai de cette même année 83, c'est la fabuleuse expo Delvaux: les photos 36 à 61 retracent la visite du peintre. On aperçoit notamment Paul Delvaux avec Monsieur Barballe lui aussi figure bien connue d'Antheit (photo 42), avec Raymond Art (photo 44), avec Fernand Jamaigne (photo 45). Son départ de Wanzoul est immortalisé par les photos 60 et 61.
En clichés 62 et 63, ce sont la photo et une des oeuvres de l'aquarelliste Daniel Roberti. Puis ce sont les photos 64 et 65 avec Roger Potier, le peintre non figuratif (sur la photo 65, on reconnait l'abbé Quiriny ). 66, 67 et 68, ce sont trois photos liées au passage de Luc Peire à Wanzoul. En avril 1984, Joze Ciuha expose à la galerie Carpe Diem : photos 70, 71 et 72. Présentation en duo via les photos 73 et 74 de Winants et Dubois, un peintre et un sculpteur bien connus. Par la suite, passeront par Wanzoul Gaston Bogaert (photos 75 et 76 ), Francis Olin (clichés 78 et 79 ) et sous l'oeil vigilant de Bartho (photo 80) un collectif d'artistes hollandais (leurs oeuvres parmi les photos 81 à 85).
La saison 85 se termine avec Roger Dudant (photo 86), André Goezu (photos 87 à 89), Jean Dechene qui est revenu en août (photos 92 et 93 avec Ines Jamaigne).
L'aventure Carpe Diem se clôture aussi en 85 avec Géraldine Jamaigne (photo 90), Marylène Jamaigne (cliché 91), Paul Delvaux ( photo 94), Jeanine Art (photo 95) et Jean Gérard le "régional de l'étape" (photo 96).
Le sculpteur Jean Dubois et le peintre fantastique Jean-Marie Winants ont exposé ensemble à Wanzoul en 1984
Sources
- « Art Info», le trimestriel édité pendant 4 ans (1982-1985) par l'équipe de Carpe Diem d'Albert Bartholomeus avec Marylène Jamaigne, Jeannot Demeulemeester, Raymond Art.
- Les articles des journaux notamment « L'Avenir »(Jacques Henrard), « La Meuse » (Willy Lesur, M. Pycke), « Le Peuple » (Gaston Bunnens), « Le Soir », « La Libre Belgique » (Chr. Charpentier), La Wallonie ( Jacques Parisse), 1982-1985.
- Albert Bartholomeus dans « Revue Qualité Village» , 1992 : « La rue Tapennes se souvient ... Il y a dix ans s'ouvrait la galerie Carpe Diem»
- les fabuleux albums de Marylène Jamaigne ci-dessous
Paul Delvaux : l'expo et les manifestations organisées à Wanze
2017, c'est donc l'année du 120 ième anniversaire de la naissance de Paul Delvaux.En collaboration avec la fondation Paul Delvaux, la commune de Wanze et son centre culturel organiseront à cette occasion une grande exposition Paul Delvaux ( gravures et peintures ). Est aussi prévu un parcours thématique dans la commune à partir de la maison communale.
L'exposition se tiendra à l'administration communale de Wanze, chaussée de Wavre, 39, du 23 septembre au 20 décembre 2017, tous les jours sauf le lundi.
Info détaillées via Wanze.be et le site du Centre Culturel de Wanze
La jeune Géraldine Jamaigne aimait le monde des artistes