Raymonde guitariste, à droite - Photo album Raymonde Gillet
En ce début mars 2017, l'église de Vinalmont respirait la joie : un hommage plus que mérité y a été rendu à Rita Smets Hérion et à Raymonde Gillet, deux femmes exceptionnelles de la communauté paroissiale depuis plus de 50 ans.
Aujourd'hui, parlons « un peu » de Raymonde avec l'aide de Mimie, Marie Vanleyssem (dont nous avons repris plus bas une grande partie du discours en caractères italiques ).
Si Raymonde est née en 1946 à Herstal, Raymonde est une Vinalmontoise de toujours. C'est à Vinalmont que la maman Marguerite et le papa Henri sont très vite venus habiter, alors que Raymonde avait trois ans ; il convenait de venir habiter sur « les hauteurs » pour éviter les problèmes d'asthme.
Raymonde est donc née en 1946. 1946, un an seulement après la fin de la guerre, un an après le retour d'Henri, le papa, de sa période de captivité en Allemagne, en Autriche et en Pologne. Henri Gillet, à la fois féru de mathématiques et dessinateur talentueux, enseigne à l'école technique (atelier fer et aussi mécanique en cours de soir). Il est très strict, marqué par sa longue détention dont il parle très peu. Lors de la fête du village, Raymonde Gillet s'occupe avec sa maman de la « Baraque des prisonniers» afin de récolter des fonds pour aider les familles des anciens prisonniers soignés à Saint Ode. La maman de Raymonde, Marguerite, est une dame exceptionnelle, une maman discrète, aimante, attentive.
En promenade en ville avec papa et maman -Photo album Raymonde Gillet
Raymonde, c'était donc ma voisine du no 5 de la Rue Albert 1er à Vinalmont. Elle habitait et habite toujours la maison familiale, une demeure située en face de chez Mina, Ernest et Isabelle dans les années 50-60 (aujourd'hui chez Marie).
Mais pour la petite Raymonde, la seule « vraie » voisine, c'était Loulou, la fille des responsables de la CAV, le « grand » magasin situé en haut de la rampe, de l'autre côté de la rue. (Ce magasin est aujourd'hui devenu l'habitation de Jacques Fontaine et de son épouse Marcelle).
Malgré la différence d'âge, Loulou et Raymonde deviennent des amies inséparables, des confidentes uniques l'une pour l'autre, et ce....pour la vie. Une amitié peu commune, un amour par contre commun... pour les petits gâteaux.
Pour la petite fille, c'est déjà l' âge de l'école qui est située à deux pas de la maison de Raymonde. L'école à Vinalmont, cela a été pour Raymonde un période merveilleuse. Sa copine Marcelle Goffin trouvait un orvet et c'était l’occasion de commencer une leçon de sciences qui ne disait pas son nom. Carmen Lamborelle apportait des marrons et c'était une leçon de calcul sans le savoir et dans la joie. Pour Mademoiselle Dispas, l'institutrice, toute découverte servait à l'étude du milieu et la leçon portait aussi bien sur un escargot « bouché» que sur un reste de construction de ruche.
Même les petits malheurs étaient l'occasion de découvrir la médecine « douce » pour les enfants. Raymonde s'était brûlée sur le poêle de l'école en fonte en prenant son livre dans sa mallette. Sans perdre son sang froid devant une situation aussi chaude, la collègue de Madame Dispas, Mlle Marie, court chercher une pomme de terre crue dans son habitation qui jouxte l'école, la coupe en deux et l'applique sur la joue de Raymonde.
Pour la remercier, le papa de Raymonde, le bricoleur, fabrique pour l'école une crèche de Noël avec des baguettes de bois et des brins de paille.
Rentrée des classes avec les frères Christian et Paul Vincent - Photo album Raymonde Gillet
La musique est bien vite une passion pour Raymonde. A 6 ans déjà, elle ira au cours de musique chez Suzanne André, la mezzo-soprano, chanteuse d'opéra hors pair au théâtre de Verviers. Suzanne, c'est la cousine de la maman de Raymonde qui habite rue Quique . Raymonde ira chez elle pendant 5 ans, de 1952 à 1957, suivre ses premières leçons de piano et de solfège.
Raymonde s'entend comme larrons en foire avec Christian et Paul Vincent, les petits fils d'Alex Weck qui a marié Suzanne la soprano. Les enfants apprennent par coeur les livrets d'opérettes rangés sur la cheminée du salon, ils écoutent Suzanne qui, tout en travaillant, chante « Les Mousquetaires au couvent » ou «Les cloches de Corneville ». Et quand on emmène les enfants voir les Cloches de Corneville au théâtre Royal de Liège, Raymonde et Christian, tout excités, entonnent « C'est la salle de mes ancêtres » à l'unisson du chœur et il faut les faire taire en catastrophe !
Déjà pianiste, rue Albert 1er - Photo album Raymonde Gillet
Une autre passion de Raymonde, c'est le déguisement : elle raffole des habits de scène de Suzanne et espère les enfiler lors des fêtes de famille. Elle devient alors saltimbanque avec les habits de l'opéra comique « Les Saltimbanques » ou veuve joyeuse avec la coiffe utilisée dans l'opérette de Franz Lehar qui se passe dans un pays imaginaire des Balkans. Raymonde ne manque pas non plus le carnaval ni même de jouer le rôle de Notre-Dame quand un prédicateur met en scène le miracle de sœur Catherine Labouré à l'église.
Raymonde cartomancienne - Photo album Raymonde Gillet
L'église, la musique se rejoignent et rattrapent Raymonde début des années 60. Raymonde peaufine sa formation au conservatoire de Huy au niveau solfège, piano et histoire de la musique (elle continuera jusqu'à l'âge de 22 ans). Henri Delbrouck, le chantre organiste, le sait. Il profite du prétexte d'une messe de minuit à deux voix pour engager Raymonde : il est impossible de diriger une chorale à deux voix en même temps que de jouer de l'orgue : Raymonde, l'étoile montante, est donc recrutée comme organiste.
En 1962, nouveau bouleversement : c'est une véritable révolution au niveau de l'église avec l'arrivée du curé Marsin et du concile Vatican II : en plus de permettre aux curés de dire la messe en français face aux fidèles et de s'habiller en « clergyman », Vatican II signe l'arrêt de mort des chants en latin. Henri Delbrouck, toujours lui, habitué au répertoire grégorien, transmet le relais à Raymonde. Bientôt, avec Raymonde , le jubé passe tout de suite de Vatican II à Vatican IV. Pensez donc, une jeune file qui crée une chorale et qui anime les messes.
Tous les samedis, c'est répétition à la chorale avec une équipe de jeunes : Jean-Luc, Alphonse, Jean-Paul, Brigitte Mimie...Le curé Marsin, qui surveille tout cela du coin de l'oeil en faisant crisser ses chaussures sur le dallage pendant les répétitions, prend soin de faire obstruer la balustrade du jubé afin d'éviter que ses paroissiens ne regardent en dessous des jupes des filles...
Et bientôt, Raymonde accompagne même la chorale à la guitare.
L'orgue de Raymonde - Photo Alphonse Pongo
Les années passent. Marie Vanleyssem raconte :
Raymonde élargit bientôt son registre au niveau musical. Elle participe notamment au chœur philharmonique de Liège avec Philippe Herreweghe de 1977 à 1984. Raymonde a dû répondre pour cela à ses exigences et étudier le chant au conservatoire de Huy.
Raymonde élargit aussi ses activités.
Mimie le rappelle à Mlle Gillet :
Vous avez été appelée par d'autres paroisses que Vinalmont-Wanzoul.
Tout d'abord Fumal où vous avez suivi l'abbé Marsin pendant 24 ans. Le programme de Noël était parfois démentiel : messe de Minuit à Vinalmont, et puis 9h30, messe à Vinalmont, 11h à Fumal et 16 h à Wanzoul! Épuisement total pour l'abbé Marsin et Raymonde après ces fêtes de Noël
Raymonde a aussi été pressentie pour jouer à Statte : pendant quelques années se sont enchaînés déplacements et répétitions. Que de difficultés mais que de belles rencontres aussi.
Et bien loin en Hesbaye,continue Marie , vous avez également répondu à l'appel de l'Abbé Schmetz pour jouer à un nombre considérables d'enterrements
Oui, être organiste n'a jamais été pour vous une activité complémentaire ; vous en avez fait un second métier. Vous vous êtes adaptée à des rythmes de célébrations différentes, à des répertoires différents aussi.
Oui, c'est vraiment une belle aventure, riche et longue, qui vous a permis de croiser l'Abbé Renier, l'Abbé Marsin, le Père Jacques, l'Abbé Dino et l'Abbé Dorthu.
Et Mimie Vanleyssem de mettre en avant le rôle du chant et de la musique dont Raymonde était la dépositaire:
Le chant et la musique ne sont pas uniquement des éléments qui acompagnent le culte ou la prière. Ils sont l'expression de la prière elle même. Le chant et la musique contribuent à unir les cœurs et les élever vers Dieu.
Votre talent musical, Mlle Gillet, nous le connaissons pour l'entendre le dimanche aux messes ou lors d'autres célébrations.
Votre disponibilité est sans borne. Lors des récentes journées du patrimoine en 2016, les trésors de l'église, l'enseignement historique de Mme Godbille mais aussi vos interprétations musicales ont enchanté plus 200 visiteurs : avec la musique,votre musique, tout est plus beau, chacun est plus heureux.
Raymonde joue de l'orgue entre la statue de sainte Marguerite (le prénom de sa maman ) et le vitrail dédié à Saint Henri (le nom de son papa) - Photo album Alphonse Pongo
Tout en faisant vibrer l'orgue, vous l’animez en restant modestement cachée au jubé derrière lui. Vous savez vous effacer pour que nous puissions apprécier la beauté de cet instrument si riche musicalement.
L'orgue de l'église de Vinalmont, ce témoin important de notre patrimoine local, a été restauré en 2008. C'est un petit orgue dans sa dimension mais il s'agit du seul exemplaire de ce type : il été construit en Belgique en 1856 : grâce à vous, il a retrouvé vie et nous profitons de ses belles sonorités.
Ce qui vous caractérise, c'est la multiplicité de vos compétences et activités : car tout en assurant donc depuis 1964 le poste d'organiste ici dans la paroisse de Vinalmont, vous avez suivi avec succès une formation en philologie romane à l'Université de Liège, puis mené une carrière aux Dames de l'Instruction chrétienne à Liège comme professeur de français, d'espagnol, d'histoire de l'art, une carrière qui a été la vôtre pendant 34 ans.
Nous avions déjà parlé en 2001 du roman hors normes publié par Raymonde, la romaniste, aux éditions l'Harmattan.
« Quelques femmes autour de toi »,est particulièrement révélateur de la sensibilité, de l'esprit de tolérance, de l'amour de Raymonde pour chacun, d'une compassion, d'une compréhension bienveillante de l'être humain.
« Quelques femmes autour de toi » pose la question : « Quelles femmes comptent le plus dans la vie d'un homme : la mère tendrement chérie, la sœur aînée, l'épouse experte aux tortures de la jalousie, la fille distante et secrète, l'amoureuse, l'étrangère, sorte de « princesse lointaine » si bien gardée, si fidèlement aimée. »
Le petit village belge décrit dans le roman par Raymonde ressemble peut-être un peu à Vinalmont : « Voici son village. Depuis seize ans, c'était un nom sur une enveloppe. Le voici,vallons et bosquets, maisons pointues autour d'un clocher d'église et des tours d'un château. Voici sa maison, simple et blanche au milieu de fleurs et du feuillage ; les yeux d'or d'un énorme chat noir qui te surveillent, pleins de suspicions ; une porte ouverte et le sourire bienveillant d'une dame à cheveux blancs que tu reconnais sans peine. »
La fête en l'honneur de Raymonde s'est terminée par les remerciements de Marie Vanleyssem au nom de tous les membres du Conseil de Fabrique et de la communauté paroissiale : « Nous tenions à vous exprimer notre plus profonde gratitude car, depuis 52 ans, vous ne ménagez ni votre peine, ni votre énergie pour nous enchanter. Merci de nous consacrer ainsi votre temps et nous espérons pouvoir encore compter sur vous pendant de nombreuses années ».
Devant la maison blanche, dans "sa" rue, la rue Albert 1er - Photo album Alphonse Pongo
Merci à Alphonse pour son remarquable reportage photographique de « Quelques femmes autour de nous ».
La photo "officielle" - Photo album Alphonse Pongo